France: a self-portrait (French)

Sixteen French men and women reflect on modern France
November 19, 2006
Tim King, author of Prospect's France profonde column, asked a cross-section of French people to write a portrait of their own country in 250 words. The responses, in the original, unabbreviated French are below.Click hereto read the profiles in English. To read Tim's introduction to the texts, click here.

Thierry Coste

Directeur de Lobbying et Stratégies

Les Français, c'est bien connu, ont une fâcheuse tendance à se plaindre de tout et à reporter sur les autres la responsabilité de leurs maux supposés. À ce titre, les étrangers qui viennent en France sont aux yeux de bon nombre de nos concitoyens responsables et coupables de trop aimer notre pays. Certains autochtones se voient dans notre France profonde comme dans une citadelle assiégée ou l'on commencerait à manquer d'huile bouillante à déverser du haut de nos remparts sur la tête des ennemis d'hier et de demain.

Cette allergie à l'autre nous rend si arrogant, qu'il serait légitime que nous soyons marginalisés dans le concert des nombreuses nations ou l'accueil est souvent une seconde nature.

Malgré ce handicap, notre pays est toujours la première destination touristique du monde avec des dizaines de millions d'étrangers qui débarquent chaque année pour découvrir notre beau pays. Il faut dire que nos plages, nos campagnes et nos montagnes sont d'une diversité et d'une richesse culturelle à faire pâlir de jalousie.

Pour les Gaulois que nous sommes, la tolérance vient du fait que ces hordes d'étrangers qui déferlent dans notre pays pour y trouver un petit coin de paradis retourneront très vite dans l'enfer des mégalopoles de la planète, en ayant laissé quelque menu monnaie encaissée sans le moindre sourire..

Alors si les mêmes « migrateurs » anglais, hollandais ou allemands tombent amoureux d'un coin de ce jardin d'Éden et envisagent de s'y installer durablement, les ennuis commencent. Dans ce cas, le rural profond peut se révéler être l'homo sapiens le plus arrogant qui soit dénonçant ces étrangers qui font monter les prix et qui s'accaparent des meilleures propriétés.

Au lieu de profiter de cette diversité comme d'un plus économique et humain, nous essayons de leur barrer la route par tous les moyens, forts de notre technocratie « à la soviét. ».

Pourtant, le Perche, le Périgord, la Dordogne, le Haut Var et bien d'autres contrées de notre France Profonde ont été sauvés de la désertification grâce à ces nouveaux « envahisseurs » qui font vivre et travailler nos artisans et nos commerçants. Il serait temps que ces Français à l'esprit étriqué comprennent que cette diversité des cultures dans le monde rural est la seule vraie richesse pour demain.


Liliane et Michel

Michel est directeur général d'une société de biotechnologie végétale

Ma femme et moi habitons Paris. Nous étions fiers il y a 10 ans de travailler dans des fleurons de l'industrie française comptant parmi les leaders mondiaux dans leur domaine, bref dans des multinationales. Aujourd'hui nous n'osons plus dire ce que nous faisons car nous sommes regardés de travers par nombre de nos concitoyens. Multinationale est désormais en France un gros mot rangé dans la même catégorie que argent, profits, capitalisme, progrès scientifique, productivité, fonds de pension, libéralisme, compétitivité, délocalisation, mondialisation, privatisation, constitution européenne. Lorsque vous utilisez ces mots assurez vous d'abord que votre interlocuteur travaille dans le même contexte que vous. Ne parlez pas trop fort car vous serez mal jugé par votre voisinage. Un de mes amis employé dans l'industrie nucléaire vit dans le même ghetto que moi qui travaille dans les biotechnologies.

Par contre si vous utilisez les mots : exception française, produits bio, plateau du Larzac, écomusée, réchauffement climatique, défense des droits acquis, temps libre, couche d'ozone, voies piétonnes et pistes cyclables, commerce équitable, manifestation ou expertise citoyenne, énergie éolienne, fête des moissons à l'ancienne, principe de précaution, antiaméricanisme, altermondialiste, intermittents du spectacle, vous pourrez évoluer sans problème dans la société française. Vous risquez même d'être invité à une émission de télé ou de radio si vous savez parler haut et fort.

Les scientifiques sont mis à l'index, brocardés, guillotinés verbalement, bien que le gouvernement fasse régulièrement des incantations sur la nécessité d'investir dans la recherche.

La France actuelle est devenue peureuse, frileuse mais hargneuse en même temps. Elle se rassure en se réfugiant dans la nostalgie et les recettes de nos arrières grands parents. L'esprit d'initiative est montré du doigt. Un comportement de nantis qui à force de s'accrocher à ce qu'ils ont acquis risquent de tout perdre !

Notre bol d'air, nous le trouvons en voyageant à l'étranger. Dans ces pays nous rencontrons des interlocuteurs qui travaillent, ont envie d'entreprendre, et croient en l'avenir. Nous rencontrons aussi d'autres Français qui, loin de leur pays, parlent sans contrainte.

Et pourtant quand nous rentrons nous nous disons : « que la France est belle et comme il est agréable d'y vivre ! »


Pascal Engel

Professeur de philosophie à la Sorbonne et à Genève

Texte proposé directement en anglais.


Lucie Palanque

Étudiante

J'ai étudié dans un lycée populaire, dans les banlieues de Marseille. Un lycée dit « difficile ». Mais contrairement aux mythes, pas de violence, pas de racket, pas de trafic de drogue. La « difficulté » est d'abord sociale et scolaire. L'objectif du lycée est alors d'avoir son bac. A tout prix. Les cours servent principalement à ça : l'examen final. Je dois le dire, les professeurs que j'ai eu font très bien leur métier, avec passion et talent. Mais les difficultés des élèves sont telles que les enseignants ne peuvent pas s'attarder aussi longtemps qu'il le faudrait sur une notion ou sur un cas individuel.

Non, le temps presse et le programme doit être bouclé avant la fin de l'année. Malheureusement cette course à l'examen contamine aussi les élèves. Ils ne peuvent pas apprendre. Ils ne peuvent que retenir. Apprendre serait trop long, il faudrait reprendre les bases, vaincre les difficultés accumulées depuis si longtemps. Alors ils retiennent, jusqu'au grand jour du bac les formules, les dates, les citations. Le grand jour venu, beaucoup échouent. Certains arrêtent, d'autres réessaient.

Je suis ensuite entrée dans une classe prépa pas comme les autres. Elle est réservée aux élèves de ces lycées « difficiles » et les prépare en un an à passer le concours pour rentrer à Sciences Po. Certains diront « discrimination positive », donc entorse à l'égalité républicaine. Mais au delà de ce débat, j'ai vécu cette année comme un palier vers des études supérieures, un temps pour élargir les horizons, pour faire ce dont on n'avait pas le temps au lycée : étudier pour soi, pour sa culture et sa réflexion. Cette classe axée sur la culture générale et la curiosité approche ce qui pour moi devrait être l'enseignement : une ouverture sur le monde et des clés pour le comprendre. Un apprentissage de la réflexion. Et non pas un entraînement visant un examen. Car, une fois celui ci passé, la vie continue, heureusement.

Voir les deux cotés d'une même société m'a fait comprendre combien la mixité sociale est nécessaire en France, mais aussi combien cet idéal est en lui même complexe et périlleux. La question de l'intégration des enfants de l'immigration aux élites intellectuelles prend aujourd'hui une tournure urgente. La France, bousculée par ses voisins et leurs modèles d'intégration se pose des questions. Les débats émergent, chacun a son idée, les journaux en parlent. Mais les expériences sont encore rares, l'Éducation nationale est frileuse. En ayant participé à une de ces expériences, visant à ouvrir les portes des grandes écoles, je trouve qu'il reste du chemin à parcourir. Les mentalités changent, mais lentement, des deux côtés. La situation pourra évoluer quand nous aurons compris que l'immigration n'est pas un fléau mais une chance. Alors les jeunes issus de l'immigration pourront évoluer librement dans le monde scolaire et professionnel. Reste ensuite à faire évoluer l'enseignement lui même, pour que puissent se former des citoyens attentifs et curieux, et non pas des travailleurs dociles et souriants. Bref, il reste du pain sur la planche.


Nacira Ferdjoukh

Chargée de recrutement à Londres

Se réconcilier avec la France d'aujourd'hui n'est pas une mince affaire. Elle attire de l'intérieur et rebute de l'extérieur. De l'étranger, elle vous fait voir ailleurs qui vous êtes. Imprégné en elle, elle vous passionne, vous malmène, vous emporte et vous rejette.

Dans l'espoir qu'elle se soucie enfin du cadavre de son histoire, je garde en moi l'envie de croire que par égalité, sa seconde devise, elle n'entend pas uniquement égalité à son image (grandeur, savoir, culture et Bleu Blanc Rouge).

A l'instar d'Amin Maalouf qui exhorte la France à se regarder dans « le miroir du temps », elle a fait de la francophonie la langue des « autres », pour qui la France, sous différente forme fait partie d'eux, mais ils n'ont jamais fait partie d'elle. Elle n'a jamais et s'entête à refuser que cet autre soit une part d'elle. Alors en m'éloignant j'attends la France du partage et du dialogue.

Il serait injuste de lui retirer sa générosité, mais pour le moment je l'abandonne à son triste sort même si de loin, elle continue à susciter passion et haine en moi. Ainsi va la France qui n'a pas su instaurer un dialogue vivant avec ses migrants. La France d'aujourd'hui doit se renouveler et ne plus souffler sur les brasiers de son passé. Je me positionne ainsi entre cette culture morte de ma terre natale (la Kabylie), la culture agonisante de ma terre d'accueil (la France) et la culture en évolution de ma terre d'adoption (Le Royaume Uni). Je suis à la recherche d'une langue vivante qui saura être universelle pour toutes « mes terres ».


Jacques Godfrain

Député maire de Millau

Curieux pays qui porte un prénom féminin. Connaissez-vous une Anglaise qui s'appelle Grande-Bretagne, un Cambodgien qui s'appelle Cambodge?

Curieux pays que ce territoire : immense au regard de l'Europe, moyen quand on regarde de l'Atlantique à l'Oural et si petit, quand on regarde la planète

Curieux pays dont l'Histoire s'inscrit sur la pierre ; beau pays qui a donné naissance à tant d'inventeurs, d'ingénieurs, d'artistes, d'écrivains, de mathématiciens, terre des bâtisseurs de cathédrales, terre des défis technologiques (le viaduc de Millau).

Curieuse France que ce pays, patrie des droits de l'homme, terre d'accueil de ces peuples déchirés par les guerres et les révolutions.

Curieux pays , chargé d'histoire, tourné vers la modernité où les paysages sont un condensé de la planète, où la gastronomie fait partie du patrimoine.

Cette France qui dévoile son passé au regard des touristes comme une fille impudique.

Cette France qui écoute, qui existe et qui se révolte, cette France qui se cherche sans jamais se trouver, amoureuse d'un jour, elle trompe ses grands hommes, car elle aime le changement, ses amants sont multiples et ils écrivent l'histoire.

Elle est insatisfaite, jamais contente, reine d'un jour, elle veut gagner toujours.

Elle lapide ses perdants, elle encense ses gagnants, elle a cette faculté d'exister dans le monde parce que le Monde sait bien qu'il ne peut se passer de son rayonnement.

Ses habits ont vieilli, elle a grossi un peu. Sous son sourire charmeur, elle cache ses blessures qui ont pour nom chômage, précarité, exclusion. Elle garde la tête haute, veut être présente partout , elle est fière la France. Elle sait que demain est déjà aujourd'hui, elle sait qu'elle doit réunir ses enfants, accepter les différences, ne pas en faire.

Cette France tolérante, ce bien curieux pays, entame ce pari sur l'avenir et sa réussite fera la France de demain.


Jean Ibanez

Professeur de philosophie à Montpellier

La France d'aujourd'hui n'est pas celle de nos livres d'histoire. Nous ne sommes pas en guerre contre les anglais, les espagnols, les italiens, les allemands, le reste du monde. Plus de guerres de religions, nous sommes à l'heure de l'oecuménisme et c'est tant mieux !

On pourrait presque s'endormir s'il n'y avait pas de révoltes dans les banlieues, des jeunes qui s'énervent contre le mépris des institutions et s'en prennent à ce symbole de la modernité qu'est la voiture, moyen de transport individuel, individualiste...

La France d'aujourd'hui est un paradoxe comme le tableau si énigmatique de la Joconde, la douceur d'un sourire sur un arrière fond paysager inquiétant et angoissant, chaotique et menaçant.

Les français sont imprévisibles, un entraîneur néo-zélandais de rugby disait que les français pouvaient d'un match à l'autre passer du sublime au ridicule, la finale de la coupe du monde de football en est un parfait exemple avec le sublime Zidane ou encore le flamboyant Villepin à l'ONU si pathétique avec son obstination pour le CPE. Cette imprévisibilité, le « non » pour la Constitution européenne par exemple, peut séduire mais pas convaincre.

La France d'aujourd'hui n'arrive pas à convaincre et on peut s'en réjouir car dans convaincre, il y a « vaincre » et donc une logique de guerre ou de domination. La France n'a plus besoin d'adversaires pour exister. L'identité culturelle française ne se définit plus par une origine ni même un destin, par un passé ou un avenir, mais par une façon de faire les choses dans le présent.


Elisabeth Lulin

Directeur général de Paradigmes, société de conseil spécialisée en benchmarking et prospective des politiques publiques.

Que fait la France en cette fin 2006 ? Elle attend 2007, l'élection présidentielle. Pas dans l'illusion que le nouveau chef de l'État, quel qu'il soit, change le cours des choses d'un coup de baguette magique, mais parce que cette élection symbolise – du moins on l'espère – le passage de relais à une nouvelle génération.

Et alors, dira-t-on ? Les élections présidentielles ne reviennent-elles pas tous les cinq ans ? La succession des générations à la tête de l'État n'est-elle pas un phénomène par nature récurrent ?

Certes, mais au-delà des constantes qui traversent les époques – l'impatience des dauphins, leur envie de changer les choses, la réticence des aînés à céder la place – il y a aujourd'hui des traits inhabituels :

1. Le sentiment que tout est à reconstruire. La nouvelle génération a clairement pour tâche de redresser un héritage désastreux – pas de poursuivre une trajectoire confortablement tracée. Pour trouver un défi d'une ampleur comparable, il faut sans doute revenir cinquante ans en arrière, à la reconstruction de l'après-guerre.

2. La fragilité du pouvoir. Discrédit des élites ; exigence de transparence qui place toute action, toute décision, voire toute intention réelle ou supposée des dirigeants sous la loupe publique ; perte d'efficacité des leviers traditionnels de l'action publique : pour relever le défi, la génération qui arrive aux commandes n'a manifestement pas les pleins pouvoirs des précédentes.

3. La montée des conflits de générations. Les nouveaux arrivants sont talonnés par une ou deux générations plus jeunes, qui n'entendent pas se laisser dicter un régime de rigueur par ceux qui ont dilapidé à leur profit l'héritage de leurs enfants. A l'incompréhension habituelle entre les anciens et les modernes s'ajoute désormais, de plus en plus, la rancœur.

Que peut-il résulter de cette configuration ?

Le pire si la machine à réformer s'avère définitivement en panne. Chaque génération campant sur ses positions, on verrait alors s'affronter deux conservatismes, l'un par les urnes et l'autre par la rue : d'un côté un corps électoral vieillissant, ses représentants sénescents, refusant toute remise en cause de ses « avantages acquis » ; de l'autre des jeunes exprimant par les blogs, les manifestations ou les voitures brûlées, leur refus de payer le prix des dérives passées.

Le meilleur si la fragilité de l'autorité et l'urgence de la crise deviennent l'aiguillon d'une gouvernance rénovée, restaurant la légitimité des institutions et de l'action publique qu'elles impulsent, redonnant sens au sentiment d'un destin partagé, d'efforts à accomplir ensemble – en un mot, rendant acceptables les réformes à accomplir.


Denis Robert

Écrivain et journaliste indépendant

J'habite en France et je reste plutôt content d'habiter ce pays... Une question de racine et de langue plus que de géographie et de politique.

Bien sûr, nous avons la mer, la montagne, Beaubourg, le Louvre, l'Airbus A380, les vieux Bourgogne et le fromage de chèvre. Nous avons aussi Céline et Truffaut et Jaurès et François Mitterrand. J'en suis presque à le regretter.

Ce qui me navre le plus en France reste sans doute l'état du journalisme. Je sais que dans des tas d'autres pays, ce n'est guère mieux, et que nous sommes moins « trashs » que nos frères anglais mais on assiste, ici, avec une sorte d'impuissance et de fatalisme à toutes les bassesses et à toutes les compromissions sans brocher. Les interviews politiques sont à pleurer de rire. A la télévision comme dans les journaux. Partout, les boulons se resserrent en raison de cette foutue élection présidentielle où on nous prépare depuis un an maintenant à une finale Sarkozy-Royal... Un petit Duce contre une Marie-Chantal... Sarkozy a dans sa poche la plupart des médias et des patrons de presse... ce devrait être lui qui l'emporte selon les scénarios imaginés par ce qu'il convient d'appeler la France d'en haut. Il faut se méfier des victoires trop bien préparées... Il y a toujours un moment où le vox populi déraille... En 2007, encore plus qu'en 2002, l'extrême droite a de grandes chances d'arriver au second tour.

La France n'est plus un pays généreux, ouvert et tolérant. La France a à sa tête un président sympathique et corrompu, un premier ministre qui a su orchestrer en coulisse une sombre affaire de listing truqués pour piquer la place de son ministre de l'Intérieur. Lui aussi reste en place. Il vient même de m'écrire en cette fin d'été pour m'attaquer en diffamation. Chochotte, va... La France est devenue la république des coups tordus et de la paresse intellectuelle. J'essaie à ma manière, sans parti pris mais avec une grande détermination, à lutter contre ça. Je le faisais à « Libération » mon ancien journal. Je poursuis le travail dans mes livres. Pour la première fois depuis très longtemps, un livre a été interdit à la vente pendant près d'un mois parce qu'en définitive il ennuyait le pouvoir en place... C'était en juin dernier. C'était mon livre, « Clearstream, l'enquête ». Je ne me lamente pas. Je constate. Ceci dit, je trouve intéressant le spectacle de cette lente descente... Peut être qu'un jour, le pays se reprendra. Peut être pas. Il en sortira toujours des livres, des films, de la littérature... Dans tous les cas, qu'on ne se méprenne pas, je préfère encore vivre ici plutôt dans un pays qui envoie pour de fausses raisons ses soldats en Irak.

Malgré nos nombreux défauts, nous n'avons pas vendu notre âme à Georges W Bush, aux marchands d'armes et de pétrole.


Richard Vilaplana

Maire de commune rurale (274h.)

Rat de Ville et Rat de Champs !!! Oui la France citadine n'est pas la France rurale, au-delà du niveau de vie et du contexte économique, la population évolue et pense souvent différemment.

Le contexte social français accentue le malaise entre les faibles revenus des salariés des campagnes et les bénéficiaires du revenu minimum qui immigrent vers ces mêmes campagnes et qui se retrouvent grâce à de faibles loyers, aux aides sociales diverses et à la Couverture Maladie Universelle dans un contexte financier plus favorable que ces salariés des « champs ».

Comme le dit le chansonnier « La misère est moins pénible au soleil », on peut y rajouter « et à la campagne ».

On dit également « Le trop d'impôt tue l'impôt » on peut y rajouter « Le trop de social tue le social », car aujourd'hui dans nos campagnes, certains salariés, certains « vieux » n'ont pas de Mutuelle Maladie, car ils n'entrent pas dans la bonne catégorie et qu'ils n'ont pas les moyens de se la payer.

La France rurale, celle du travail, du labeur, celle des valeurs, souffre en silence, sans brûler de voitures ou d'abris bus, mais avec un sentiment d'injustice et d'inégalité.


Jean Milesi

Maire de commune rurale et conseiller général

Ce sera sans doute en dépit de toute morale, mais ce vieux pays fourbu - je veux dire la France – est encore capable de s'en tirer. Oh ! ses gouvernants n'y seront pas pour grand-chose ! Quel que soit leur bord politique, ils ont tous fait la preuve de leur incapacité à se renouveler, à émettre l'ombre d'un semblant d'une idée neuve. Ils ont enterré le socialisme sans rien retenir de ce qu'il pouvait avoir de généreux, d'actuel, de « civilisé » : la solidarité, le sens du partage. Ils ne vont pas tarder à célébrer les obsèques du libéralisme politique, à force de le confondre avec le libéralisme économique et de vouloir faire jouer au marché le rôle de régulation qui reste le domaine exclusif de l'état. Le réalisme, disent-ils, doit supplanter l'utopie. Mais imaginer que les seules lois de l'économie vont assurer la cohésion sociale et apporter le bonheur aux citoyens, existe-t-il utopie plus aberrante ?

Le problème majeur de la France, aujourd'hui, c'est qu'elle compte une pléthore de politiciens, quelques trop rares politiques et pas un seul homme d'État. A tel point qu'il n'est plus possible, semble-t-il, de décoller son pied de l'ornière, pour faire un pas vers ceux d'en face. Quand un François Bayrou émet l'idée – non pas géniale, de simple bon sens – que toute la vérité n'est pas dans le même camp, et qu'on pourrait essayer de se parler par-dessus les barrières, il reçoit, de gauche comme de droite, une volée de bois vert universelle. Ainsi, pour la prochaine présidentielle, ai-je décidé, une fois de plus, de parrainer Besançenot le gauchiste : non que je prenne pour argent comptant ses analyses, à défaut de ses propositions. Mais lui du moins saura – jeune encore, il a de la verve ! - fustiger comme il convient cette classe politique bêlante dont la nullité me sidère.

Ce qui sauvera ce pays, c'est son peuple : il vaut mieux que ce qu'on en pense, et beaucoup mieux que ceux qui le gouvernent. Mais dans une époque sans imagination, sans idées et sans convictions, n'est-ce pas le cas général ? De l'extérieur, je n'aurai pas la discourtoisie de porter un jugement sur les gouvernants britanniques. Par contre mes rencontres fréquentes me font apprécier les Anglais. Ceux-ci gagnent à être connus.

Ayant eu, pour s'expatrier, le bon goût de choisir la France, il y font merveille dans les activités plutôt sympathiques, fort éloignées de la caricature traditionnelle du snob de la City, abrité de l'éternel crachin sous un immense parapluie. Ils retapent nos vieilles pierres, insufflent un regain de dynamisme à nos équipes de rugby – of course – et dopant leur trafic de 50%, réduisent le déficit chronique et justifient enfin l'existence des multiples aéroports de notre « France profonde ». Bref toute insularité disparue, à des années-lumière de Fachoda et du « splendide isolement », les voici devenus, tout compte fait, et « honni soit qui mal y pense », des continentaux fort acceptables. Alors nous, les vieux européens, si nous savons nous reconnaître et nous retrouver ensemble – l'île et le continent – nous avons encore beaucoup à apprendre aux gnomes de Wall Street, englués dans leur arrogance et l'illusion de leur semblant de pouvoir. La vieille Europe est loin d'être finie.

Laurence Bagot

Journaliste aux « Enjeux /Les Echos »

Texte proposé directement en anglais.

Dominique Fayel

Secrétaire général de la FDSEA—agriculteur, éleveur de bovins viande

La France d'aujourd'hui n'est pas fondamentalement différente de ce qu'elle a pu être à d'autres époques. Ce pays ne fonctionne pas au consensus. Il ne se mobilise que face à une menace ou, beaucoup plus rarement, que s'il est galvanisé par un projet fédérateur. Or il n'y a ni menace perçue, ni véritable projet de société, résultat : la société fait du sur place. La seule énergie interne semble n'être que l'égoïsme : blocages corporatistes, égoïsme générationnel (endettement, l'impossible reforme des retraites), montée de l'individualisme. La solidarité est d'autant plus affichée comme une valeur qu'elle ne fonctionne plus vraiment, ou du moins, en dehors du cercle des proches. Le pays vit au jour le jour, sans perspective réelle, sans objectif clairement identifié, totalement dérouté? par les remous du monde. Le monde ne veut pas nous comprendre ? Eh bien on boude ! Il finira bien, ému par nos états d'âme, par nous entendre.

Si on met de coté l'hypothèse du péril extérieur (une nouvelle guerre de cent ans, par exemple !) le pays peut rebondir. Trois pistes, entre autres, me semblent utiles.

— Un minimum de courage de la classe politique qui par facilité ou démagogie a exclusivement centré le débat sur les préoccupations immédiates. Le risque (seulement électoral) doit être pris d'un vrai débat sur les choix fondamentaux à long terme : un grand dessein (qui peut ne pas être un dessein de grandeur).

?— L'idéal européen s'est concrétisé dans le domaine des institutions, mais les peuples, finalement, se connaissent toujours aussi peu, surtout dans les milieux populaires. La réaction de Chirac à l'égard des pays de l'Est qui avaient choisi de suivre les États-unis en Irak, est parfaitement révélatrice : l'histoire n'a pas donné tort à la France sur l'Irak, mais l'anecdote a démontré notre incapacité à comprendre, dans l'histoire et la géographie des autres peuples, ce qui détermine leur choix. Une meilleure pratique des langues étrangères, et des échanges accrus entre jeunes européens, peut amener à davantage d'esprit d'ouverture.

?— Il y a véritable besoin de sens, notamment chez les jeunes. La crise de confiance vient du fait qu'il y a doute sur les finalités réelles de notre société où le marché semble être sa propre finalité. Cette perception provoque un sentiment de rupture et de rejet dans une part croissante de la société, d'où une remise en cause, sous leurs formes traditionnelles, du travail, de l'enseignement, des institutions au sens large du terme, qui ne semblent plus servir des objectifs légitimes.

Il y a pourtant une énergie, une envie d'agir, intacte, qui ne demande qu'à se libérer. L'espoir vient peut-être du monde associatif. De cette nébuleuse hétéroclite, de ce bouillonnement désordonné, sont en train de naître les solutions (en terme de rapports humains) qui, peut être, déverrouilleront demain, l'économie, la politique, les institutions. Les gens y trouvent ce qu'ils ne trouvent plus ailleurs : la certitude d'être utile, absolu besoin de croire à ce qu'ils font.

Georges Calvet

Fonctionnaire au ministère de l'agriculture

La France gastronomique : le paysage gastronomique? français? n'a pas connu de révélation comparable à l'espagnol ou plutôt, pardonnez mon erreur, au catalan Ferran Adrià. Des chefs confirmés comme Alain Senderens ne veulent plus subir le diktat des guides gastronomiques et d'un en particulier « le Guide Michelin ». Ils demandent à ne plus y figurer. Ce guide a subi des turbulences suite à la parution d'un livre d'un ancien inspecteur.

Au niveau des vins, le Domus Maximus, vin du Château Massamier dans le Minervois, a été sacré meilleur vin rouge au monde par une revue britannique .

Le sport : le Tour de France, véritable institution au même titre que la Tour Eiffel, la baguette, le Moulin Rouge, a connu une véritable tragédie. L'éviction de vedettes telles que Jan Ulrich et Ivan Basso suspectés de dopage suscitait l'espoir de voir un Tour de France propre, débarrassé de ces démons. Le dopage, réel ou supposé de l'Américain Floyd Landis a causé un traumatisme qui, me semble-t-il, met en péril le Tour de France en particulier, et dévalorise durablement le sport cycliste en général.

Heureusement la sirène Laure Manaudou (espérons qu'elle est clean) enchante les masses.

L'enseignement : la réduction des fonctionnaires dans la fonction publique d'état, la suppression de personnel d'encadrement dans les lycées, collèges, ont peut être contribué à ce que le CPE soit rejeté par la communauté estudiantine et surtout lycéenne. Le retrait du CPE n'a pas apporté de solution durable aux problèmes de l'enseignement. Les jeunes dans leur grande majorité sont? inquiets pour leur avenir et versent soit dans la morosité soit dans la radicalité. Les manifestations contre le CPE en région parisienne ont vu l'émergence de deux jeunesses : la jeunesse classique et une jeunesse sauvage, provenant des banlieues et issue de l'immigration qui a exprimé son « No Future ».

L'avenir : l'avenir n'est écrit nulle part et par conséquent dans un pays qui abuse de psychotropes l'avenir est fatalement anxiogène. Deux points :

1) le déclin et les déclin-ologues. Il est fortement question du déclin de la France (supposé ou avéré) Messieurs Nicolas Bavarez et Jacques Marseille s'emploient à décrire le phénomène. Faut-il s'inquiéter ? Ou avons-nous déjà décliné au-delà du point de non-retour?

2) L'échéance présidentielle de 2007. La réédition de 2002 plane sur nos consciences, malgré le battage médiatique autour de l'homme pressé Nicolas Sarkozy et les prétentions de madame Ségolène Royal à nous imposer « un ordre juste ». Tiens, passe–moi un Lexomyl. Ah ! Le trou de la Sécu ne nous permet plus de nous l'offrir. Alors, il faut commencer à s'inquiéter !

Christian Viguier

PDG de SEFEE

La décentralisation ne va pas au même rythme que la globalisation. Autant dans nos campagnes, la globalisation se ressent dans tous les secteurs professionnels comme pour les populations locales à travers la diversité de provenance des produits que l'on peut se procurer dans la boutique du coin. Autant la décentralisation est un mot qui résonne depuis les grandes villes mais qui a du mal à faire échos dans nos petites villes.

Beaucoup de technocrates parlent de décentralisation car le mot sonne bien mais ne misent pas réellement sur la capacité et le dynamisme de nos régions pour la concrétiser.

Dans des régions « reculées » comme l'Aveyron, on ressent donc peu son impact. Pourtant, nos régions ne sont pas peuplées que de paysans portant le béret et la baguette de pain sous le bras. Il y a toute une population de jeunes qui ont fait leurs études supérieures dans des grandes villes comme Montpellier ou Toulouse et qui souhaiteraient exercer une activité professionnelle dans leur région natale mais qui sont freinés par le manque de débouchés. Car malgré la volonté de décentraliser, peu de moyens sont mis à disposition pour motiver les entreprises à s'installer. Alors que nos campagnes, dans le cas de l'Aveyron, ne sont qu'à 1h d'autoroute de Montpellier et 1h30 de Toulouse. Je n'appelle pas ça le bout du monde !

D'autant que face aux « ghettos » que deviennent les grandes villes, les petites villes de campagnes offrent une qualité de vie privilégiée où l'insécurité et le coût de la vie sont bien moindres.

Face à cette dévalorisation des campagnes, il y pourtant des chefs d'entreprises qui se battent pour y développer des pôles de haute technologie. C'est le cas par exemple, dans le sud Aveyron, à Saint-Affrique (petite ville de 9000 âmes), de l'Entreprise SEFEE qui a été créée, il y a tout juste vingt ans, alors PME de trois personnes qui se destinait aux câblages aéronautiques pour avions et hélicoptères.

Dans une dynamique continue, SEFEE a su investir au bon moment, année après année, afin de diversifier son activité pour finalement représenter en 2006 une entreprise de 120 personnes qui, de simple sous-traitant aéronautique, est devenue un équipementier à part entière grâce aux 200 équipements que son bureau d'études a développé en 20 ans pour réaliser un chiffre d'affaire de 15 M€.

Son nouveau challenge, il y a 1 an : SEFEE a investi dans une salle blanche afin de s'orienter vers le câblage spatial pour satellites.

Nous espérons que des exemples comme SEFEE motiveront les institutions à aider d'autres chefs d'entreprises à s'installer dans ces régions « reculées ». Doucement mais sûrement !